20.9.08

Plomin et la chasse aux gènes de l'intelligence

Dans le Scientific American, Carl Zimmer évoque la chasse aux gènes de l’intelligence. Et notamment le travail du psychiatre et généticien Robert Plomin (Institut de psychiatrie, Kings’ College, Londres). Le chercheur est l’un des pionniers de ce champ d’étude. L’intelligence au sens psychométrique (facteur g, capacité cognitive générale) est connue depuis les travaux d’Alfred Binet et Charles Spearman au début du XXe siècle : c'est le trait psychologique le plus mesuré sur la population la plus nombreuse à travers le monde. Et l’héritabilité de cette intelligence (la part des gènes dans la variance interindividuelle) est aussi connue depuis longtemps. Elle est relativement élevée puisqu’elle atteint 0,7 à 0,8 à l’âge adulte. Mais encore faut-il dénicher les gènes impliqués dans ces différences.

Quand Plomin s’est lancé dans cette quête au milieu des années 1990, le séquençage génétique n’avait pas atteint le degré d’automatisation et de rapidité qu’il connaît aujourd’hui. Malgré cela, Plomin et ses collègues ont conçu une étude longitudinale de grande ampleur, TEDS (Twins Early Development Study) : 15.000 paires de vrais et faux jumeaux sont suivies de la naissance vers l’âge adulte depuis 1994, et l’ADN de 12.000 d’eux a été collecté. Ils passent divers tests et épreuves en vue de mesurer la qualité de leur développement psychologique, et notamment leur intelligence (sur TEDS, voir Oliver et Plomin 2007).

Voici 10 ans, il était encore difficile et coûteux d’analyser quelques dizaines de gènes. Mais avec le développement de la bio-informatique appliquée à la génomique et l’apparition des puces ADN, Plomin et ses collègues ont pu tester des régions de plus en plus importantes du génome. Mais lorsque des centaines de milliers de marqueurs génétiques furent ainsi passées au crible, les chercheurs n’ont trouvé que quelques associations entre des SNPs (polymorphismes d’un seul nucléotide), dont le plus efficient expliquait un peu moins de 1 % de la variance aux tests psychométriques, et les autres moins de 0,4 % (cf par exemple Harlar 2005, Craig 2006, Butcher 2008). L’effet est si faible qu’il faut répliquer ce genre d’études pour exclure les faux positifs. Et, en aucun cas, on ne trouve pour le moment de gène massivement impliqué dans les différences d’intelligence entre individus.

Cela pourrait paraître un échec, mais Robert Plomin n’en est pas très étonné. Sur la base de ses travaux et d’autres recherches en neurosciences et génétique du comportement, il a développé l’hypothèse des « gènes généralistes » (Kovas et Plomin 2006). Selon cette hypothèse, les mêmes gènes affectent la plupart des capacités et des incapacités cognitives lors du développement du cerveau et de ses interactions avec l’environnement. Sauf exception, ce ne sont pas des gènes impliqués dans le façonnage de tel ou tel module cognitif (langage, mathématique, mémoire de travail, etc.). Les deux propriétés essentielles sont ici la pléiotropie (un même gène a plusieurs effets) et la polygénicité (un même trait dépend d’une multitude de gènes). Les gènes généralistes, sans doute quelques dizaines à quelques centaines, moduleraient l’efficience des différentes structures et fonctions spécialisées du cerveau. Et l’intelligence serait la rencontre d’un bon réseau de gènes avec un bon milieu de développement.

Bien qu’elle ait eu mauvaise presse dans le passé, surtout pour des raisons idéologiques (querelles sans fin sur l’inné et l’acquis, les différences sexuelles et raciales), il est probable que l’étude des bases génétiques des capacités cognitives générale et spécifiques connaîtra une croissance continue et florissante. La raison en est l’importance symbolique et pratique de ces capacités pour l’espèce humaine, plus précisément pour les sociétés modernes désormais fondées sur l’exploitation intentise des ressources intellectuelles. « Comme nous entrons dans le XXIe siècle, il est très important de maximiser et optimiser l’éducation des gens, note Robert Plomin. Vous pourriez à l’avenir obtenir un indice de risque génétique. Vous pourriez voir quels enfants présentent des risques de déficience en lecture, et intervenir. L’espoir est de prédire et intervenir avec des programmes prévenant ces problèmes, au lieu d’attendre qu’ils se révèlent à l’école ». Une des découvertes majeures sur l’héritabilité de l’intelligence (et de la plupart des traits) est qu’elle augmente avec l’âge, de 0,3-0,4 pour des enfants de 5 ans à 0,7-0,8 pour les adultes au-delà de 18 ans. Cela tient notamment à la plasticité du cerveau humain, qui tend à se réduire avec le développement : stimuler une aptitude défaillante à 3 ans et à 20 ans n’aura pas du tout le même effet.

Aucun commentaire: